En valorisant cet abondant rejet de l’industrie papetière, ce brevet permet de fabriquer des mousses de carbone et d’y stocker de l’énergie. Une technique qui peut être appliquée à la conception de supercondensateurs ou encore de batteries.
Fabriquer des batteries à partir d’un matériau qui ne coûte presque rien. C’est le défi visé par un consortium de recherche bordelais. Le 10 novembre 2023, il publiait un article dans la revue Langmuir décrivant leur système de valorisation de la liqueur noire. Derrière ce nom presque poétique se cache en fait le principal détritus de l’industrie papetière. Cette solution alcaline composée essentiellement de lignine et d’hémicellulose est ce qu’il reste après la fabrication du papier kraft. « Sa seule utilisation aujourd’hui est d’être brûlée pour que la vapeur d’eau qui s’échappe par combustion fasse tourner des turbines électriques, le tout sous un bilan énergétique mitigé et un bilan carbone inadapté aux enjeux environnementaux actuels », déplore Rénal Backov, Professeur de chimie Intégrative au Centre de recherche Paul Pascal (CRPP)[1], cosignataire de l’article.
Plutôt que de l’utiliser ainsi, le principe du brevet déposé en amont de la publication est de transformer cette liqueur noire en une mousse de carbone. « Nous pouvons utiliser cette mousse développée par nos collègues pour le stockage de charge électrique, explique quant à lui Jacob Olchowka, chargé de recherche CNRS à l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux (ICMCB[2]). Notre brevet porte notamment sur les supercondensateurs qui fournissent un shoot de puissance énergétique sur un temps très court. » Ils sont par exemple utilisés pour les systèmes « start & stop » de certains véhicules ou pour faire fonctionner les tramways. « L’avantage de cette technologie de supercondensateurs est qu’elle est capable de se recharger en quelques secondes et de supporter environ un million de cycles de charge », se réjouit-il. Des capacités bien au-delà de n’importe quel modèle traditionnel de batterie actuellement sur le marché.
L’avantage de cette technologie de supercondensateurs est qu’elle est capable de se recharger en quelques secondes et de supporter environ un million de cycles de charge. ’’
Jacob Olchowka
Chargé de recherche CNRS à l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux
À l’origine de ce brevet se trouve donc ce consortium composé du CRPP, de l’ICMCB et de l’Institut des sciences moléculaires (ISM[3]) ; le tout sous l’égide du projet Post Petroleum Materials, initié par l’université de Bordeaux, Bordeaux INP et du Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie (RS2E) du CNRS. « Nous travaillions depuis plusieurs années à partir de la liqueur noire avec mon collègue le Dr. Hervé Deleuze, maître de conférences à l’université de Bordeaux, qui vient tout juste de prendre sa retraite. Nous avions notamment créé des polymères poreux à partir de celle-ci, se souvient Rénal Backov. Puis le Dr. Romain Poupart, dans le cadre de son post-doctorat PPM en a optimisé le traitement thermique pour le stockage énergétique. » Un savoir-faire aujourd’hui partagé entre toutes les entités du consortium.
Abondance et versatilité des applications dans le domaine de l’énergie
Les développements de cette technologie s’annoncent très prometteurs tant le principe peut être décliné dans plusieurs domaines de l’énergie. « En plus d’utiliser le procédé pour des supercondensateurs et des batteries, nous pouvons y stocker du dihydrogène, ce qui diversifie encore son utilisation », détaille Rénal Backov. De plus, la liqueur noire, malgré une variabilité de composition géographique, présentera des taux graphitiques assez constants post-traitement thermique ; paramètre d’importance dans le cadre d’un procédé industriel : « D’autres études ont été faites à partir de la biomasse issue d’arbres, de noix de coco ou même de peaux de crevettes, mais leur composition inconstante et leur faible tonnage de production les rendent difficilement valorisables à grande échelle », explique le chercheur de l’ICMCB. Ce que confirme son collègue du CRPP : « Même si on constate quelques différences de composition entre une liqueur noire produite en France et une autre au Brésil, notre traitement thermique à haute température sous atmosphère inerte fait qu’à la fin, nous obtiendrons quoi qu’il arrive le graphite nécessaire ».
Surtout, c’est son coût de revient qui sera certainement imbattable une fois développé dans le monde industriel : « On part ici d’un déchet très mal valorisé alors que les précurseurs de beaucoup de matériaux carbonés utilisés pour le stockage de l’énergie sont issus de l’industrie pétrolière », analyse Jacob Olchowka. « Ce sont plus de 65 millions de tonnes de liqueur noire qui sont produites tous les ans dans le monde, s’enthousiasme Rénal Backov. La ressource est donc absolument immense, à tel point que le meilleur modèle pour notre brevet serait d’être licencié par une société industrielle ayant les moyens techniques de traiter de gros volumes », conclut Rénal Backov. Une prometteuse prochaine étape pour ce procédé qui a une carte à jouer dans l’incontournable secteur énergétique défossilisé, sous une démarche vertueuse et environnementalement éco-compatible.
[1] CRPP : CNRS/Université de Bordeaux
[2] ICMCB : CNRS/Bordeaux INP/Université de Bordeaux
[3] ISM : CNRS/Bordeaux INP/Université de Bordeaux
Partenariats, création d'entreprises, brevets, licences, événements... Retrouvez tous les mois les dernières actualités de la valorisation et de l'innovation au CNRS.
28 novembre 2024
27 novembre 2024
27 novembre 2024
06.11.2018
Matériaux – Revêtements 07293-01
06.11.2018
Matériaux – Revêtements 10581-01
06.11.2018
Chimie 08758-01
06.11.2018
11127-01
06.11.2018
Environnement et Energie 11107-01
19.10.2018
Diagnostic médical 08504-01