Grâce à une durée de vie grandement rallongée, les tampons permettant aux fluorophores de clignoter en milieu aqueux, conçus par une équipe de l’Institut NeuroMyoGène de Lyon, améliorent drastiquement l’observation des molécules. Ces découvertes sont utilisées dans différents produits commercialisés par la société Idylle, dont le CNRS est actionnaire.
Une technologie discrète, mais qui facilite amplement la vie des chercheurs. Karine Monier et ses collègues travaillent à l’amélioration des tampons clignotants en milieu aqueux, indispensables au bon fonctionnement des microscopes à reconstruction optique stochastique directe — le dSTORM dont les inventeurs ont obtenu le prix Nobel de chimie en 2014. Ces appareils représentent une avancée majeure dans la localisation de molécules uniques (SMLM) : « Ils permettent d’imager les molécules les unes après les autres pour obtenir des images d’une résolution de 10 à 20 nanomètres », détaille l’ingénieure de recherche CNRS à l’Institut NeuroMyoGène – Physiopathologie et Génétique du Neurone et du Muscle de Lyon (INMG-PGNM, CNRS/Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1). Un bond en avant phénoménal par rapport à la microscopie conventionnelle qui atteint au mieux une précision de 200 nanomètres.
Mais on est ici très loin du microscope que l’on a tous connu en cours de biologie. Ils ressemblent essentiellement à une boite noire, dépourvue de tout oculaire, qui a été remplacé par un écran. « Pour parvenir à observer les molécules fluorescentes individuellement, il faut d’abord les mettre en pause dans un état noir, à partir duquel elles peuvent redevenir actives de façon sporadique et émettre de la fluorescence », précise la chercheuse.
Un procédé physique plutôt qu’enzymatique
Pour parvenir à ce résultat, il faut que la lame soit placée dans un milieu réducteur sans oxygène. « On a longtemps utilisé pour cela des tampons Glox (glucose oxydase) où était introduite une enzyme qui consommait du glucose et donc de l’oxygène. » Il faut alors que le tout soit scellé dans une chambre hermétique pour éviter que l’air chargé d’oxygène s’y introduise à nouveau. « On utilise aussi souvent de la pâte dentaire, élastique au début, elle se durcit au fil du temps et a le mérite d’être inerte », s’amuse Karine Monier. Mais la limite de ce tampon Glox est qu’une fois préparé, l’utilisateur n’a que deux heures environ pour son observation, avant que le procédé s’épuise.
C’est là qu’intervient Karine Monier et le consortium qu’elle dirige avec leur tampon « Eternity », développé initialement au Laboratoire Transdisciplinaire Joliot-Curie de l’ENS de Lyon. Ce tampon prolonge la durée d’imagerie de quelques heures à plusieurs semaines, surmontant ainsi l’un des obstacles majeurs à l’adoption de la SMLM. « Plutôt que d’utiliser un procédé enzymatique, on utilise un procédé physique qui va chasser tout l’oxygène ». Ce principe, publié en 2019 (Provost & Rousset el al. Sci. Rep, 2019), a rapidement intéressé la société française Idylle. Spécialisée dans la commercialisation d’outils de recherche innovants à destination des laboratoires, elle a signé un partenariat public-privé en 2022 avec le CNRS. L’établissement est même monté au sein de son capital à hauteur de 20 %.
La technologie en amélioration constante
Grâce au transfert de cette technologie « Eternity », Idylle propose le tampon de longue durée Everspark qui permet d’assurer une durabilité de l’échantillon de deux mois. Une fois calibré et monté avec le tampon Everspark, il peut être soumis à plusieurs séries d’imagerie dSTORM pour acquérir et reconstruire une structure reproductible. « Malgré tout, avec mes collègues Arnaud Favier (chimiste) et Christophe Place (physicien), nous trouvions ce tampon génial, mais nous étions limités à l’observation de seulement deux couleurs : rouge et rouge sombre. Comme tout le monde avec la technologie dSTORM, nous étions embêtés dans le canal vert », raconte Karine Monier.
Dans un complexe macromoléculaire composé de trois protéines, beaucoup de points peuvent se chevaucher (voir Figure). Avec seulement deux couleurs, il devient donc impossible de discriminer des points issus de trois protéines différentes, pour positionner une cible au sein d’une structure orientée nécessitant deux autres marqueurs. « Notre approche transdisciplinaire nous a permis de concevoir une nouvelle recette de tampons permettant de l’élargir aux molécules fluorescentes dans ce fameux canal vert », se réjouit la chercheuse. La technologie de ces tampons « Eternity-PLUS » a été transférée en 2023 à Idylle qui les commercialise désormais sous le nom d’Everspark 2.0. « Pour ce projet baptisé Green dSTORM, nous avons bénéficié d’un programme de prématuration du CNRS», se félicite la chercheuse.
Des découvertes qui bénéficient à l’INMG-PGNM
L’équipe poursuit le développement de nouveaux outils pour la super-résolution en collaboration avec la société Idylle, avec un outil de calibration revendu sous le nom de SpheroRuler. Ces sphères de 1 micromètre de diamètre sont marquées par des fluorochromes rouge sombre capables de scintiller dans le tampon Eternity pour calibrer et étalonner les microscopes des laboratoires. L’équipe ne compte d’ailleurs pas s’arrêter là, puisqu’elle travaille actuellement à la conception de lames de références pour la super-résolution comprenant à la fois les structures biologiques et de calibration. Un outil qui simplifierait encore un peu plus la vie des chercheurs s’initiant au fonctionnement des microscopes dSTORM, les dispensant ainsi de nombreuses manipulations complexes. L’un des principaux fabricants, l’Américain Bruker, ne s’y est d’ailleurs pas trompé en mettant à disposition du laboratoire un système de nanoscopie Vutara VXL dernier cri sur lequel les chercheurs peuvent tester leurs procédés, ainsi que les équipes de l’INMG-PGNM.
Une dotation qui tombe à pic : « En plus de ces projets de valorisation, nous allons également nous recentrer sur la biologie. Notre institut s’occupe de recherches sur les neurones et les muscles. L’idée est d’appliquer ces techniques aux questions biologiques qui y sont traitées », conclut Karine Monier. Ou comment des recherches servant à améliorer le quotidien de chercheurs à travers le monde bénéficient finalement à ceux de l’institut où elles ont été menées.
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