De l’exosquelette qui rend la mobilité aux personnes handicapées à la machine qui effectue les tâches les plus risquées d’un chantier ou d’une usine, les robots s’ancrent dans les applications les plus concrètes. À la pointe de la discipline : un projet ambitieux appelé MEMMO.
L’objectif est de faire enfin sortir les robots humanoïdes du laboratoire, grâce à des mouvements choisis et adaptés à l’aide des capteurs de la machine. ’’
Nicolas Mansard
Directeur côté CNRS du projet MEMMO, directeur de recherche au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (LAAS-CNRS) et membre de l’équipe Gepetto.
Déjà médaillé de bronze du CNRS et grand prix de l’ANR, Nicolas Mansard a reçu une Étoile de l’Europe en décembre. Une récompense accompagnée d’un financement de quatre millions d’euros pendant quatre ans pour MEMMO.
Car bien qu’ils nous ressemblent, les robots humanoïdes posent de nombreux défis aux chercheurs. Il n’existe ainsi pas de contrôleur générique qui permette de faire accomplir un large panel de tâches à des machines variées, pouvant aussi bien posséder deux bras et deux jambes qu’une ou deux paires d’un seul de ces membres. Les modèles et les codes doivent donc généralement être recréés pour chaque nouvelle application, en fonction des mouvements demandés et du robot.
Avec MEMMO, pour Memory of motion, c’est-à-dire Mémoire de mouvement, repose à la place une banque de mouvements préenregistrés. Les capteurs du robot vont fournir les informations pour choisir automatiquement les mouvements les plus appropriés pour la machine et à la tâche en cours. Une simulation et un système de rétroactions permettent d’adapter en direct le mouvement aux besoins réels. Chaque nouvelle salve de mesures améliore les mouvements.
« Un humain n’a besoin de prendre que dix à cinquante décisions par seconde lorsqu’il bouge, mais un contrôleur devrait résoudre des problèmes à 10 000 variables pour être aussi efficace, ce qui est pour l’instant bien trop compliqué, » déplore Nicolas Mansard. « Notre système effectue tout de même jusqu’à mille opérations par seconde afin d’ajuster la commande aux manœuvres désirées. »
MEMMO pousse ainsi les algorithmes au maximum du possible, au-delà de l’état de l’art, afin d’offrir aux entreprises et à la recherche les solutions les plus adaptées à leurs besoins. Le projet est organisé autour d’un consortium comprenant l’équipe Gepetto du LAAS-CNRS, l’institut de recherche suisse en intelligence artificielle IDIAP[1], l’Institut de robotique de l’université d’Oxford, l’Institut Max-Planck pour les systèmes intelligents, les universités de Trente et d’Édimbourg, la société espagnole PAL Robotics, l’avionneur Airbus, la société de BTP britannique Costain et le spécialiste français des exosquelettes Wandercraft. Ces trois derniers partenaires sont également les utilisateurs finaux qui ont directement bénéficié des applications du projet.
Retrouver une autonomie grâce aux exosquelettes
Wandercraft fournit des solutions ici employées par l’Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) et le centre de rééducation de Pionsat, dans le Puy-de-Dôme. Ces exosquelettes permettent à des patients handicapés du bas du corps de remarcher de manière autonome. « La plupart des solutions similaires nécessitent des béquilles, souligne Nicolas Mansard. Ici nous n’en avons plus besoin et l’exosquelette contrôle entièrement l’équilibre du patient. »
Grâce aux techniques d’apprentissage automatique et d’optimisation de mouvements de MEMMO, ainsi que de l’intégration des retours des patients, l’appareil leur permet de se déplacer sur un sol plat sous surveillance médicale. En plus du retour de la marche, il leur offre des bénéfices en termes de tonus musculaire, de transit et de circulation sanguine.
« MEMMO a changé le paradigme, poursuit Nicolas Mansard. Les anciens modèles d’exosquelettes contrôlaient les mouvements sans vraiment prendre en compte la force exercée. Or on ne peut pas considérer ces machines comme de simples presses hydrauliques. » Le calcul du mouvement en direct et la meilleure intégration des forces ouvrent la possibilité de voir ces exosquelettes sortir du cadre strictement contrôlé de l’environnement médical.
« Le projet MEMMO a été une excellente opportunité pour Wandercraft d’élargir son réseau de collaborations scientifiques avec des partenaires académiques de premier plan en Europe, et d’intensifier ses développements en apprentissage, contrôle et vision robotique, » se réjouit Antonio El Khoury, product manager chez Wandercraft. « Certains de ces développements ont été intégrés dans l’exosquelette de rééducation Atalante, et offerts aux patients et aux thérapeutes un outil de rééducation autoéquilibré et entièrement configurable. Le projet a également permis de renforcer la collaboration avec la fédération APAJH et le centre de rééducation de Pionsat, client historique de Wandercraft depuis mai 2016 et partenaire dans MEMMO. »
Des robots bipèdes pour Airbus…
Le projet avec Airbus visait de son côté à une automatisation partielle des usines. « Les modèles issus de l’industrie automobile intéressent les avionneurs, mais le passage à l’échelle est difficile, » souligne Nicolas Mansard. « Si un avion est cent fois plus grand qu’une voiture, même utiliser des machines cent fois plus grosses ne suffit pas, car les contraintes techniques et physiques sont bien plus importantes. Imaginez quelle dalle de béton il faudrait pour supporter un tel poids… »
Il est donc préférable de se tourner vers des robots plus petits et mobiles, capables d’agir directement sur et dans l’appareil en cours de montage. Tout cela en s’assurant que les machines ne posent aucun risque pour les ouvriers qui travailleraient à proximité.
« Les robots bipèdes que l’on voit dans la littérature scientifique sont souvent des robots marcheurs avant d’être des manipulateurs, car beaucoup de contrôle a été sacrifié pour se focaliser sur les jambes » explique Nicolas Mansard. « Ici nous avons ajouté des degrés de liberté supplémentaire ainsi que de puissantes pinces. » Grâce à un algorithme capable de gérer toute la mobilité du robot, un prototype est parvenu à effectuer en situation de l’ébavurage, c’est-à-dire nettoyer les contours d’un trou qui vient d’être percé.
… et quadrupèdes pour Costain
Enfin, Costain était intéressé par des robots quadrupèdes pour réaliser des opérations de surveillance dans des endroits dangereux, comme aller observer des zones pouvant s’effondrer ou des bâtiments en cours de démolition. Les robots quadrupèdes ont cependant souvent de grandes difficultés à se mouvoir hors des terrains plats ou très réguliers. Ici, le robot enregistre les forces qu’il exerce lorsqu’il bouge, ce qui lui permet de mieux interagir avec le sol. Il explore tout seul des sites industriels grâce à des capteurs et à sa capacité à se localiser lui-même dans l’espace. Avec MEMMO, un robot a pu grimper sur une échelle de chantier, y compris si une des marches était cassée. Un autre a été testé avec succès au niveau de l’aéroport de Gatwick.
Ces travaux ont d’ailleurs abouti à la création d’une nouvelle entreprise : NavLive. Elle façonne des cartes précises de sites de construction grâce à des robots dont les mouvements et la position sont enregistrés en permanence. Cette méthode peut aussi s’étendre à des véhicules ou à des appareils tenus à la main.
« Grâce aux différents cas d’usage, MEMMO nous a aidés à cerner ce qu’il était possible de faire et à préparer nos démonstrateurs, » se réjouit Maurice Fallon, professeur à l’Institut de robotique d’Oxford, co-responsable de MEMMO et co-fondateur de NavLive. « Le projet nous a montré que nos travaux pouvaient déboucher sur des applications commercialement pertinentes. »
[1] Institut d’intelligence artificielle perceptive
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